Rapport du CSEC de la MFPM dans le cadre de la procédure de Droit d’alerte économique

Les faits de nature préoccupante à l’origine de la procédure de Droit d’alerte économique

  • Depuis fin 2022, le renforcement de la stratégie dite « de la valeur » conduit à une baisse rapide des volumes vendus par Michelin au niveau monde :
  • – 2 % en 2022 par rapport à 2021
    • – 4,6 % en 2023 par rapport à 2022
    • Aucune perspective d’amélioration en 2024 (prévisions de – 2 à 0 % par rapport à 2023).
  • Michelin a annoncé la fermeture des usines jugées insuffisamment rentables :
  • Le 26 octobre 2023, Michelin annonce la fermeture de l’usine Tourisme d’Ardmore aux Etats-Unis. L’impact est de 1 400 emplois directs.
    • Fin octobre 2023, Michelin annonce la fermeture des usines poids lourd de Trèves et de Karlsruhe (Allemagne), et l’arrêt de la fabrication de pneus neufs à Hombourg (Allemagne). L’impact est de 1 530 emplois directs.
  • Des investissements de modernisation prioritairement dirigés vers les sites industriels des zones à moindre coût salarial :
  • A Olsztyn (Pologne), annonce interne en mars 2024 de l’arrêt de l’activité Poids lourd (430 salariés concernés), et des investissements pour renforcer le site sur les pneus Tourisme et Camionnette, notamment en 18’’+. Les 430 salariés bénéficieront d’un accompagnement pour retrouver un nouveau poste principalement sur Olsztyn.
  • Sur ShenYang (Chine), même schéma annoncé en interne en mars 2024 : arrêt de l’activité Poids lourd et des investissements pour renforcer le site sur les pneus Tourisme et Camionnette, notamment en 18’’+.
  • En France, une baisse continue des tonnages produits par les usines du Groupe :
  • Entre 2011 et 2023, les tonnages produits ont été divisés par 2 (de 320 kT à 154 kT)
  • – 3,2 % en 2022 par rapport à 2021
  • – 13 % en 2023 par rapport à 2022.
  • En France, 3 sites industriels sont dans une situation particulièrement préoccupante :
  • L’usine de Cholet, dont l’activité Camionnette est très concurrentielle, a perdu – 35 à – 40 % de ses tonnages en 5 ans, sans perspective de rebond à court terme ni investissement structurant.
  • L’usine de Joué-lès-Tours a perdu – 27 % de ses volumes entre 2019 et 2022, dont – 13,5 % en 2022, et encore – 4,3 % en 2023. De plus la fragilité de son portefeuille clients (Cholet, Moyens Individuels de Roanne) place le site dans une situation critique.
  • L’usine de Vannes, du fait de la baisse continue de son activité, a perdu – 25 % de ses effectifs entre 2015 et 2022. Cette baisse devrait encore se poursuivre du fait de la forte réduction de l’activité Poids lourd en Europe (fermeture des sites allemands, annonce d’Olsztyn).

Pour toutes les raisons évoquées, le Comité Social et Economique Central (CSEC) de la Manufacture Française des Pneumatiques Michelin (MFPM), très inquiet quant à la situation très délicate des sites de Cholet, Joué-lès-Tours et Vannes, a décidé d’ouvrir une procédure de Droit d’alerte économique sur ces 3 sites.

D’autres sites, également dans une situation complexe vis-à-vis de leur niveau de charge (notamment Troyes, Le Puy) inquiètent le CSEC et auraient pu être retenus dans le périmètre de la procédure. Toutefois, le CSEC a décidé de prioriser le périmètre d’analyse afin de se concentrer sur les sites les plus problématiques à court terme.

Le lancement de la procédure de Droit d’alerte économique

Le 19 avril 2024, en réunion extraordinaire du CSEC, l’instance a remis une liste de questions à la direction dans le cadre d’une procédure de droit d’alerte économique concernant la situation des usines de Cholet, Joué-lès-Tours et Vannes.

La direction de la MFPM a apporté des réponses lors de 2 réunions extraordinaires du CSEC :

  • Le 31 mai 2024, un zoom sur les historiques de 2019 jusqu’au premier trimestre 2024 a été présenté pour les 3 usines
  • Le 26 juin 2024, les thèmes suivants ont été présentés :
  • Place des trois sites dans la stratégie de l’Entreprise
    • Perspectives 2024 et 2025
    • Vision moyen terme

Le CSEC constate que les historiques présentés le 31 mai confirment bien ses inquiétudes, et démontrent la dégradation des niveaux de charge des usines ces dernières années et la situation critique dans laquelle elles se trouvent actuellement.

Les informations apportées lors de la réunion du 26 juin sur la place des trois sites dans la stratégie de l’Entreprise, les perspectives 2024 et 2025, et la vision moyen terme, ne donnent qu’une vision floue et hypothétique des évolutions attendues, et n’apportent aucune réponse concrète sur des mesures correctrices engagées. Ainsi les informations apportées n’éclairent pas sur la pérennité des usines.

En conséquence, les représentants au CSEC de la MFPM ont considéré que les réponses fournies par l’entreprise restaient insuffisantes pour lever les inquiétudes quant à la pérennité des usines de Cholet, Joué-lès-Tours et Vannes, et qu’aucun élément n’avait permis de rassurer le CSEC quant à la continuité d’exploitation de ces sites.

Le CSEC a donc décidé de recourir à l’assistance d’un expert-comptable (le cabinet Secafi), afin de l’aider à apprécier la situation des usines de Cholet, Joué-lès-Tours et Vannes.

Michelin est confronté à des pertes de volumes très fortes, structurelles et durables

Les 3 usines concernées par l’étude, bien qu’opérant dans des activités différentes, sont confrontées à des pertes de volumes très fortes, structurelles et qui vont durer :

  • Vannes perd 40 % de sa production entre 2021 et 2025.
  • Cholet connaîtra la même diminution entre 2019 et 2025 avec – 40 % également, et son atelier mélange Z aura perdu sur la même période 60 % de son volume, notamment du fait de l’arrêt des usines de La Roche sur Yon et Dundee qu’il alimentait.
  • Joué-lès-Tours a perdu plus de la moitié de sa production de tissus depuis 2017.

À horizon 5 ans, l’expert fait le constat que les perspectives sont inquiétantes et que les volumes perdus ne pourront être récupérés :

  • Concernant Vannes : la baisse est structurelle et les autres usines Renforts Métalliques d’Europe étant elles-aussi sous-chargées, il n’y a pas de possibilité de récupération de volumes.
  • Pour Cholet : sur la Camionnette, les prévisions de l’équipe business tablent sur une poursuite de la baisse au périmètre européen de – 18% de ventes Michelin à horizon 2029, en espérant que la réalité ne soit encore plus défavorable.
  • Pour Joué-lès-Tours : la baisse devrait se poursuivre en 2025 avec l’arrêt des soutiens aux autres sites (-12% de charge par rapport à 2024), et les perspectives de charge sont mauvaises pour les années à venir.

À défaut d’un retour des volumes, les usines doivent continuer à endiguer la hausse de leurs coûts

Dès 2019, les 3 usines ont réagi et engagé des actions afin de limiter le décalage de leurs indicateurs et baisser les coûts :

  • En premier lieu en réduisant fortement les effectifs, en utilisant les 3 années de RCC (2021 à 2023) et depuis le début de l’année le dispositif GEPP Michelin.
  • Les réductions des effectifs entre 2019 et 2024 sont très importantes :
  • Vannes : réduction des effectifs de -112 personnes, soit – 28%.
    • Cholet : -368 personnes, soit également – 28%.
    • Joué-lès-Tours : -85 personnes, soit – 35%.
  • Joué-lès-Tours doit continuer d’adapter son organisation pour s’adapter à la charge et à la demande de réactivité. Actuellement 2 cycles horaires sont proposés à la négociation : un 2x8h sur 5 jours ou un 2x10h sur 4 jours, avec une possibilité de réactivité le samedi (respectivement le vendredi). L’organisation doit être socialement et financièrement acceptée. Il s’agit d’un objectif délicat, compte tenu des efforts réalisés par le passé et de la difficulté pour le site à entrevoir un avenir.
  • En outre de nombreux chantiers sont conduits sur les coûts d’énergie, de sous-traitance, de fonctionnement…

Dynamisme et créativité pour rechercher des solutions

D’autres chantiers sont conduits sur les sites :

  • Vannes dispose de surfaces bâties importantes et peu occupées, notamment dans la partie bas de chaîne. Un moyen de réduire les coûts consiste en la location de surfaces à des entreprises externes : c’est déjà le cas avec Wisamo et l’Association des Paralysés de France. Le site travaille à un projet de plus grande envergure visant à monter des partenariats avec les acteurs politiques régionaux (Agglomération Vannes, CCI de Bretagne), et obtenir des aides financières.
  • À Joué-lès-Tours un projet (dit « 4.26 ») est à l’étude. L’origine est un problème d’ergonomie : les fabrications de 4.26 posent des problèmes aux usines qui les produisent du fait de trop petites tailles de série (d’où la nécessité de démontage des bobines partiellement vides). Le projet consisterait à massifier une partie sur UJO pour limiter les contraintes ergonomiques, et recharger un peu UJO.

Un autre modèle industriel à imaginer en Europe de l’Ouest ?

Des changements récents viennent bouleverser les économies et les marchés :

  • Des facteurs économiques : inflations fortes dans les pays européens ; marché intérieur de la Chine en difficulté
  • Des facteurs politiques : difficulté à faire émerger une politique européenne de soutien claire et efficace à l’Industrie ; tensions géopolitiques
  • Des facteurs technologiques : modification des comportements d’achat, mondialisation grâce à internet, resserrement de la qualité de l’offre
  • Des facteurs stratégiques : les entreprises occidentales se replient vers des stratégies de la valeur au détriment des volumes ; garantie de continuité de l’activité au sein de chaque zone

L’outil industriel est contraint de s’adapter :

  • Moins de volumes, plus petites tailles de série
  • Disponibilité du produit et réactivité de l’outil industriel deviennent essentielles pour répondre à la demande
  • Le schéma industriel avec des usines de + 100 000 T de capacité n’est plus la seule réponse en Europe de l’Ouest.

Un autre modèle industriel est peut-être à imaginer en Europe de l’Ouest, avec des usines de plus petite taille, plus souples, gérées différemment au sein du site et dans ses relations au central ?

Redonner de la visibilité et un cap aux salariés

Les changements violents avec des marchés chahutés, des pertes de volumes très fortes, structurelles et durables, ont conduit Michelin à un discours partagé entre vérité (sur la nécessaire adaptation de son outil industriel) et absence de promesse (ne rien annoncer qui ne pourrait être tenu).

Sur les 3 sites concernés par l’étude, il est constaté une grande mobilisation de l’ensemble des acteurs (direction, encadrement, représentants du personnel, salariés) pour faire face à la situation et aller dans le bon sens : réduire les coûts, défendre la compétitivité, rester dans la bonne direction.

Cependant, il a été entendu un certain sentiment d’abandon, d’isolement, de solitude exprimé par le personnel des sites. Une image est dessinée : celle d’un malade dont la gravité de la maladie lui aurait été signifiée, qui ferait tout ce qu’il peut pour guérir, sans que le médecin ne lui dise où il en est.

Les usines souffrent. Certains sites proposent désormais à leurs salariés la possibilité de parler à un psychologue s’ils en éprouvent le besoin.

Il est urgent que la Direction centrale à Clermont-Ferrand prenne la parole afin de redonner de la visibilité aux sites, de fixer un cap.

CONCLUSION

L’étude approfondie de la situation des trois usines ciblées par ce droit d’alerte économique démontre que leurs activités se réduisent de manière continue depuis des années. Malgré la recherche de solutions sur les sites concernés, leur compétitivité se dégrade par rapport à leurs homologues européens. Les prévisions pour les années à venir sont dans la lignée des années passées. Les salariés, laissés dans l’incertitude quant à leur avenir, sont les premières victimes du déploiement de la stratégie de valeur. Cette situation est inacceptable dans une entreprise qui, à grand renfort de communication ces derniers mois sur l’innovation sociale, prône la bienveillance auprès de ses salariés dans le monde entier.

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